Jésus remarque une femme. Nous ne savons rien d’elle, mais l’essentiel nous est dit. Elle est veuve ; elle a donc perdu le seul être sur lequel elle pouvait s’appuyer. Et elle est pauvre. Mais le très peu qu’elle possède, quelques sous, elle le donne. C’est un geste à la fois sublime et dérisoire. Mais on ne peut dire plus clairement qu’elle « donne sa vie » – puisqu’elle donne tout ce qu’elle a pour vivre. Ce geste elle le fait sans aucune ostentation, et seul, semble-t-il, Jésus, lui qui voit les humbles et les comprend, l’a remarquée.
Quand Marc relate cet épisode, ce temple somptueux n’existe sans doute plus : il a été détruit par les Romains. Mais il veut transmettre aux premiers chrétiens ce qu’avait été le regard de Jésus, et leur apprendre à ne pas juger sur les apparences. En somme il leur dit : quand vous faites le bien, ne vous mettez pas en avant. Votre Père voit dans le secret : cela doit vous suffire.
Plus profondément, nous sommes peu avant la Pâque, qui sera aussi celle de Jésus. Il sait ce qui l’attend. Certes, il est prêt, lui aussi, à s’abandonner totalement entre les bras du Père. Cependant, étant donné qu’il est dans l’humanité, et qu’il apprend de nous ce que c’est que d’être humain, il voit et il admire dans cette femme ce qu’il doit faire lui-même. Elle est pour lui l’exemple modeste de ce qu’il sera, de façon publique et non pas dérobée – à savoir celui qui donne tout. Le génie de son amour, c’est de voir en elle, sans dédain ni supériorité, la grandeur qui sera la sienne, et qui doit devenir la nôtre.
Nous ne sommes pas loin de la Passion. Bientôt, Jésus, au moment même où on va lui arracher sa vie dira, avec la liberté souveraine du Fils : « Si le Père m’aime, c’est que je donne ma vie. On ne me l’ôte pas, c’est moi qui la donne. » Il faut bien peser ces mots « donner sa vie ». Il importe peu que ce don soit sanglant ou non, spectaculaire ou dérobé. Ce qui est certain, c’est que, si nous voulons vivre de l’Esprit de Jésus, il nous faut entrer dans ce mouvement du don de soi. Certes ce mouvement ne nous est pas spontané ; nous ne savons que trop à quel point nous la retenons, cette vie, et qu’elle ne nous est jamais enlevée sans souffrance. C’est pourquoi il faut nous tourner vers le Christ, et nous livrer à lui, pour que son énergie nous entraîne. Il nous l’a promis quand il a dit : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. »
C’est fait, il a été élevé de terre. Alors, laissons-nous attirer par lui dans ce Royaume dont le roi triomphe par la croix, un royaume où l’on ne sauve que ce que l’on donne, un royaume où tout ce qui n’est pas donné est perdu.
Abbé Frédéric Fermanel