Simon-Pierre était parti à la pêche, avec quelques disciples, dans sa barque, celle sans doute où Jésus lui avait donné l’ordre, quelques années auparavant, de jeter ses filets (Lc 5, 1- 11). Après la mort et la Résurrection de Jésus, il était retourné en Galilée, son pays, suivant l’ordre reçu d’après l’Évangile selon saint Matthieu (Mt 28,7). Il avait repris son métier de pêcheur, sa vie antérieure, sa vie de tous les jours, avec ses nouveaux compagnons. Rien, apparemment, n’avait changé : une vie terne, sans relief, répétitive…Ils avaient peiné toute la nuit, sans rien prendre. Et voici que quelqu’un leur demande du poisson. Ils n’en ont pas. Ce quelqu’un leur conseille de jeter à nouveau le filet. Pourquoi se donner cette peine ? Ils obéissent cependant à l’appel de l’inconnu. Et alors seulement leurs yeux s’ouvrent.
Le filet se révèle vite lourd, plein de poissons. Le disciple que Jésus aimait, le plus intuitif, le plus ouvert spirituellement, se rappelle la pêche si extraordinaire obtenue l’autre fois sur l’ordre de Jésus, et il regarde cette silhouette baignée de lumière dans le jour qui se lève. Aussitôt, il dit à Pierre : « C’est le Seigneur. » Tous reviennent vite sur la rive, ils hésitent encore, mais reconnaissent pleinement Jésus au pain qu’il leur donne, comme à la Cène, comme aux disciples d’Emmaüs.
C’était la troisième fois que Jésus se manifestait ainsi à ses disciples, souligne l’Évangéliste. Fallait-il donc que cela se répète indéfiniment, la rencontre de Jésus ressuscité, la joie de le reconnaître, puis la reprise d’une vie terre à terre, l’éternel recommencement, avec de temps à autre quelques trouées de lumière ? Est-ce cela que nous cherchons nous-mêmes, quelques éclaircies dans la vie, sans que finalement rien ne bouge, rien ne change en nous ?
La suite du récit est le dialogue émouvant entre Jésus et Pierre. « Simon, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Pierre avait auparavant tendance à croire en lui-même, en ses propres forces, à se mettre en avant, à faire, sûr de lui, des déclarations impétueuses (cf. Jn 13, 37 ; Mt 26, 33 ; Mc 14, 29-31 ; Lc 22, 33). M’aimes-tu plus que les autres disciples ? Es-tu le premier en amour, le plus grand ? Pierre connaît désormais sa faiblesse, il ne fait plus le fanfaron. Il sait tout ce qu’il doit à Jésus, il sait qu’il l’aime vraiment en retour, mais il préfère lui en laisser le jugement. « Oui, Seigneur, je t’aime, tu le sais. » Une deuxième fois, Jésus pose la question, et Pierre fait la même réponse.
A la troisième fois, Pierre se rappelle son triple reniement. Ce souvenir de la trahison de celui qui l’avait tant aimé, le peine profondément. Mais il ne s’enferme pas dans le dépit, la culpabilité d’avoir été si lâche, il reconnaît sa fragilité, tout en ayant totalement confiance en Jésus et en son pardon, et en étant sûr que Jésus reconnaît son amour d’homme pécheur : « Seigneur tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »
C’est à cet homme-là que Jésus confie la mission d’être le pasteur de ses brebis, celui qui mettra par amour ses pas dans les pas du Bon Pasteur, et qui sera prêt le moment venu à donner sa vie. « Sois le berger de mes brebis. » - « Quand tu seras vieux, c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Ce n’est pas Pierre qui l’affirme, mais Jésus qui voit en lui celui qui recevra la force de le suivre. « Toi, suis-moi. »
Abbé F. Fermanel