La foi biblique vient non pas par la vue, mais par l’audition. Elle consiste à se fier à la parole de l’autre, au lieu d’exiger des preuves : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Le temps de la vue, quand Jésus arpentait la Palestine, est passé. Mais il reviendra, dit Jean dans sa 1re épître : le passé, c’est « celui que nos yeux ont vu, que nos mains ont touché… » Et l’avenir c’est encore un voir : « nous lui serons semblables, dit-il, parce que nous le verrons tel qu’il est. » En attendant ce bienheureux moment, l’Église chemine sous le régime du « croire sans voir. »
Notre foi naît et se nourrit de l’accueil d’un récit, c’est à dire d’une parole qui, avec une force toujours nouvelle, celle de l’Esprit saint, nous rejoint de siècle en siècle. C’est une foi, comme l’écrit Pierre, en ce Jésus « que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore. »
Thomas est notre jumeau, parce que, comme nous, il n’a pas vu, et que, comme nous, bien souvent, il refuse de croire sans voir. De façon étonnante, Jésus accède volontiers à son exigence. C’est lui qui se déplace et qui vient au-devant de Thomas en lui disant : « Avance ton doigt ici et vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté » ; puis il ajoute, comme une invitation à aller plus loin : « cesse d’être incrédule, sois croyant. » Il me semble que nous pouvons voir dans cette démarche de Jésus ce qu’on peut appeler l’indulgence de Dieu, sa faiblesse par amour devant notre faiblesse par défiance.
L’attitude de Thomas illustre parfaitement ce qu’est le péché, selon la Bible, à savoir la défiance devant la parole qui dit que Dieu est amour. Thomas ne croit pas, sur parole, que Dieu est Dieu de vie et non de mort.
Dans le fond, ce récit est une scène d’absolution. Jésus se rend au désir dévoyé de l’homme et surmonte son péché. Il vient de dire que ses disciples, qui l’ont abandonné à l’heure décisive, ont désormais le pouvoir de remettre ou de maintenir le péché des hommes. Tout de suite, en faveur de Thomas, il « remet » le péché fondamental de défiance.
Aussitôt, pour la première fois dans l’Évangile, par la bouche de Thomas, le Christ est appelé directement « Dieu ». Thomas voit du sensible, et confesse la présence de l’invisible. Il découvre un Dieu transpercé par nos clous et nos lances, une faiblesse divine plus forte que toutes nos violences. Et c’est en regardant sans se lasser « celui que nous avons transpercé » que l’évangéliste finira par découvrir et par dire : « Dieu est amour. » Si nous savions ouvrir les yeux pour voir, nous découvririons, nous aussi, en tout homme blessé, celui que l’Apocalypse appelle « l’agneau qui a été mis à mort. »
Abbé Frédéric Fermanel