Saint Luc est le seul auteur du Nouveau Testament à insister, dans son évangile et les Actes des Apôtres, sur le réalisme de la chair et des os, sur l’acte de manger de la part de Jésus ressuscité et sur l’accomplissement de la loi de Moïse, des Prophètes et des Psaumes par la résurrection.
L’évangile de ce dimanche souligne tout d’abord les propos de Jésus vivant sur sa chair et ses os, après ceux qui portent sur ses mains et sur ses pieds. Pourquoi ? Adam, devenu « ish » face à « ishâh » en Gn 2, « l’humain » vis-à-vis de « l’humaine », s’exclame : « c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn 2,23) L’épouse était donnée au titre d’une aide assortie à l’époux dans l’innocence originelle, comme tissée de sa chair et de ses os. Jésus, l’Époux, « l’Humain » par excellence, est à présent donné à l’Épouse-Église-Humanité correspondante, en sa propre chair et ses os. Les épousailles peuvent se célébrer. Elles s’offrent à vivre grâce à la résurrection du Fils. Il a rendu leur commun Esprit au Père en mourant comme il meurt, selon Luc : « Père, en tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46 ; Ps 31,6). Maintenant, vainqueur de toute mort, il se livre chair et os, charnellement, à la chair vive de l’Épouse. La noce s’accomplit.
L’accent est mis ici sur le fait que Jésus ressuscité demande à manger, en confirmation de son corps ressuscité selon la chair. Non seulement cela, mais il se met à manger le poisson grillé, offert par les disciples, sous leurs yeux. Il ne suffit pas que les disciples consomment la chair et le sang du Seigneur ressuscité. Il faut encore que Lui-même s’assimile l’Église ! Il ne suffit pas à l’Église de faire l’Eucharistie. Il ne suffit pas non plus que l’Eucharistie fasse l’Église, pour reprendre les aphorismes du Père de Lubac. Le Christ Lui-même fait l’Église ! Et c’est encore Lui qui fait l’Eucharistie. Un aspect essentiel du mystère s’offre à comprendre ici. Certes, l’Église est pour le monde ; nous sommes envoyés dans le monde pour annoncer la Bonne Nouvelle du Ressuscité ! Mais pourvu que ce soit bien celle du Ressuscité ! Pourvu que tout s’opère bien par le Christ vivant, en Lui et pour Lui. À quoi servent en effet et l’Église et l’Eucharistie si ce n’est pour faire le Corps du Christ ? Le Christ veut que nous l’alimentions, nous, de nos aliments périssables, en son corps de Ressuscité à Lui, qui n’est plus soumis aux contraintes de l’espace-temps, ni de la mort, en notre faveur.
Avec leurs accents multiples et polyphoniques, les Écritures ne cessent de moduler ce Don de Dieu, déjà effectif mais à l’état de promesse dans l’Ancien Testament, pour que nous harmonisions enfin nos vies dans la louange à la Gloire de Dieu le Père !
abbé F. Fermanel