Les hommes auxquels s’adresse Jésus, et qui, nous dit Jean, ne comprennent pas ce qu’il veut dire, ont pourtant lu dans Jérémie ou dans Ézéchiel que les chefs d’Israël se sont souvent conduits non pas comme des pasteurs, mais comme des prédateurs. Mieux que d’autres ils devraient comprendre à quoi on reconnaît un vrai berger.
On le reconnaît d’abord à ceci : alors qu’un berger ordinaire vit de son troupeau, le berger christique vit pour ses brebis. Loin de se nourrir d’elles, le jour viendra où il se donnera lui-même en nourriture. Il ne prendra pas leur vie, il leur donnera la sienne. Car il veut qu’elles vivent.
C’est pourquoi, le vrai berger entre par la porte de la bergerie, il appelle chaque brebis par son nom et – ce sont les termes de l’évangile – il les fait sortir. Faire sortir, conduire dehors, ce sont les mots mêmes de l’Exode, qui est l’histoire d’une libération. C’est pourquoi, si Jésus est comme un nouveau Moïse qui va rassembler le peuple de Dieu, ce n’est pas pour le maintenir calfeutré dans un enclos faussement sécurisant, mais pour le libérer de tous ses enfermements et le faire sortir vers des terres de liberté, comme autrefois Moïse avait fait sortir son peuple de la maison de servitude.
Le sens de cette parabole est clair. Cet enclos fermé, sans issue, c’est l’image de notre monde, tout entier enfermé dans l’enclos de ses servitudes, et spécialement de la plus grande, à savoir la mort. Et qu’est venu faire le Christ, sinon ouvrir une brèche dans ce monde fermé ? Lui-même est le premier à être passé par la porte étroite de la mort, ouverte désormais sur des terres de vie et de liberté, pour que nous y passions à sa suite.
Mais Jésus nous dit autre chose. Cette pâque, ce passage de toutes les servitudes, celles de nos faiblesses, de nos convoitises et de notre mort à la liberté joyeuse des enfants de Dieu, ce n’est pas la transhumance d’un troupeau anonyme. Non : pour ce passage ultime, chacun de nous est appelé par son nom. Et comment ne pas être sensible à cette voix, puisqu’elle nous parle de notre Père ?
Car c’est le Père qui nous confie au Fils, et si Jésus nous demande de le suivre,
c’est pour nous conduire à ce Père qui est notre source. A cela aussi on reconnaît que le Christ est le vrai berger : il ne nous garde pas pour lui, il ne nous confisque pas. Ce Pasteur est aussi un Passeur. Il nous séduit mais sans nous asservir. Il nous attire à lui, mais c’est pour nous tourner vers le Père.
Nous côtoyons chaque jour des hommes et des femmes désemparés, à la dérive et sans berger. Alors, rappelons-nous que la vie que Dieu nous donne par grâce ne nous est pas donnée seulement pour apaiser notre désir de vivre. Mais pour que, Jésus l’a dit un jour à une femme de Samarie, cette eau vive devienne en chacun de nous une source à laquelle d’autres puissent venir à leur tour s’abreuver.
Abbé Frédéric Fermanel