Avec la Passion du Christ se dissipe le phantasme d’un Dieu tout-puissant, intervenant dans les affaires humaines pour en modifier le cours.
C’est dans ce mystère que notre salut reste enraciné, le mystère de notre capacité à accepter ou refuser la grâce que Dieu nous donne. Étant Dieu, le Verbe de Dieu s’abaissa et se fit homme, semblable à nous en tout hormis le péché. Un mystère qui n’est pas donné à tous de comprendre et d’accueillir, et dans lequel cependant tout salut s’accomplit.
Nous commençons notre Semaine Sainte, afin de voir, de mieux voir, afin de croire et de mieux croire. Avec l’aveugle nous crions : « Seigneur que je vois. » Or que voyons-nous ? Devant le paroxysme de l’injustice et de la violence, apparemment Dieu reste muet. En réalité c’est maintenant la Croix qui parle en son nom. Non Dieu n’est pas muet : son langage est désormais le langage de la Croix.
Une Semaine Sainte c’est un examen de conscience devant la croix, devant le mystère d’acceptation et de refus qui est en nous. Une Semaine Sainte c’est un chemin de croix, de pénitence et de mort, afin d’en sortir une créature nouvelle avec le Christ ressuscité. Prosternés devant Dieu, devant le mystère du salut accompli par son Verbe Éternel, nous n’oublions pas de voir autour de nous toute la réalité humaine.
Car la Croix nous dit que la souffrance du monde est la souffrance de Dieu. Le Christ s’est identifié à tout être dans le malheur lorsqu’il nous a dit, et avec quelle clarté : cet homme qui meurt de soif, ce prisonnier, cet exclu, c’est moi. Cette femme méprisée, ce drogué à la dérive, cet enfant maltraité, c’est moi.
Si notre bonheur est d’être avec le Christ, comment prétendre être avec lui, sans être avec lui dans la compassion effective du monde des souffrants que nous rencontrons chaque jour ? Car c’est chaque jour qu’il nous faut inventer un geste de compassion, si modeste soit-il.
C’est toujours un geste difficile. A dire vrai, la compassion n’est possible et vraie, au-delà de tout dolorisme, que dans la puissance du Ressuscité. Lui seul, dont l’énergie nous entraîne, peut nous faire entrer dans le mystère d’une compassion véritable, qui soit à la fois une rencontre du Christ dans l’autre et une participation infime mais réelle à l’amour dont Dieu aime cet autre.
C’est cet amour sans limite, insensé, qui donne à la croix sa portée universelle : si le Christ, le Fils de Dieu lui-même, souffre, ce n’est pas seulement à cause de nos péchés, mais c’est parce qu’il a pris sur lui, librement, dans toute son étendue et toute sa profondeur, la souffrance insondable du monde.
Abbé F. Fermanel