Il nous faut laisser résonner cette question dans notre tête et notre coeur. La
première réponse qui se présente à notre esprit, c’est celle qui est venue aux lèvres
de saint Pierre. Il n’était pas allé au catéchisme, lui, mais il connaissait l’Ancien
Testament, et surtout il avait partagé l’existence de Jésus. Pour lui, pas de doute,
Jésus était le Messie attendu, et plus encore : « Tu es le Christ, le fils du Dieu
vivant ». Mais Pierre ne savait pas ce qu’il disait : il attendait un Messie religieux,
certes, mais aussi politique et militaire, qui allait mettre les Romains à la porte,
prendre le pouvoir et rétablir la royauté et la justice en Israël.
Et voici que Jésus lui répond en parlant à mots couverts d’une destinée qui
n’aurait rien de glorieux, mais qui ressemblerait à un chemin de croix.
Nous, nous avons renoncé aux rêves de grandeurs. Nous ne croyons pas à un
Christ magicien qui résoudrait à lui seul tous les problèmes du monde, et nos
problèmes personnels, ceux de notre famille, de nos proches, de notre pays. La
vie est si dure, parfois ! La venue du Christ ne semble pas avoir changé quoique
ce soit, à l’échelle de l’Histoire et du monde... La tentation du découragement
nous assaille bien souvent, devant la maladie, la difficulté à trouver du travail,
l’injustice, la difficulté à s’entendre, en famille, au travail, dans la cité.
Dans ces nuits auxquelles ressemblent parfois nos vies, nous ne pouvons que
dire comme Pierre : « Seigneur, à qui d’autre irions-nous ? Tu as les paroles de
la vie éternelle. » Et que disent-elles, ces paroles de la vie éternelle ? Elles
disent : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il
prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive ! »
Chacun d’entre nous a une croix dans sa vie. Il a pu la trouver à sa naissance :
un handicap, une hérédité. Cette croix a pu lui tomber dessus au cours de sa vie :
une maladie, un deuil, un accident. Tous nous avons à porter une croix. Elle est
plus ou moins lourde. Nous pouvons nous laisser écraser par elle. Nous pouvons
aussi la brandir avec ostentation, et en fatiguer les autres. Nous pouvons aussi,
tout simplement, la ramasser, la mettre sur nos épaules et avancer en la portant,
à notre rythme, avec nos coups de fatigue, nos chutes, vers la lumière.
Nous ne sommes pas seuls. Écoutons bien ce que dit Jésus : « Qu’il prenne sa
croix et qu’il me suive ». Nous ne sommes pas seuls : il est avec nous. Il marche
devant nous. Et ça peut tout changer. Dieu porte sa croix avec nous. Il porte toutes
nos croix avec nous. C’est un Dieu de compassion, au sens fort du mot.
La face du monde n’en est pas changée, mais notre coeur peut être plus léger.
Un fardeau est plus léger d’être partagé, surtout quand c’est Dieu qui en prend sa
part. La compagnie qu’il préfère, il l’a dit, il l’a montré, ce sont ceux qui souffrent,
les pauvres et les pécheurs. Nous pouvons tous nous mettre dans les rangs.
Abbé Frédéric Fermanel
« Et vous, qui dites-vous que je suis ? »
23 juin 2024