Dans la rigueur de ce désert anonyme, où le silence est brisé par les insinuations du Tentateur, saint Matthieu récapitule le défi qui fut au coeur de toute l’existence de Jésus : à qui obéir ? Quel esprit écouter ? Celui du serpent de la Genèse qui pervertit toute chose et conduit à la mort ? Ou celui de la vérité, au principe même de la vie ?
Trois tentations auxquelles Jésus oppose sa réponse à Satan, sans hésitation. Elle est prononcée avec l’autorité de Celui qui est Fils de Dieu, le Souverain que viennent servir les anges. La victoire est définitive. Mais cette réponse, en réalité, c’est tout au long de la vie de Jésus qu’elle va révéler sa portée, à travers tant et tant de rencontres où des pièges lui seront tendus par des adversaires rusés, où des occasions de fuite lui seront proposées par ses amis : ainsi Pierre, le disciple qui au moment de la Passion conseille d’échapper à l’épreuve, et se voit aussitôt traité de Satan. Jusqu’au bout Jésus a énoncé la parole qui impose silence au Tentateur pour que l’homme de tous les temps entre dans la vérité qui rend libre. Jamais il n’a imposé quoi que ce soit par cette violence qu’est la pression sur les consciences. S’il n’a pas transformé les pierres en pain, c’est qu’il ne voulait forcer personne à croire en lui. Il n’a recruté aucune troupe pour propager une doctrine. Mais il a rencontré tous ceux qui étaient là : foule anonyme et désorientée ; malades souffrant dans leur corps et dans leur âme. S’il multiplie le pain, c’est pour que le seul vrai Dieu soit loué et que les hommes apprennent à donner leur vie. Il n’a pas condamné celui qui était là en vérité, quelles qu’aient pu être les impasses de son histoire. Au long des routes, au hasard des rencontres, il ouvre le coeur, patiemment ; il sème une parole dans la vie des hommes, comme le grain en terre, et en espère la croissance. Toujours, il attend une réponse libre.
L’épisode des tentations nous révèle une liberté souveraine : Jésus n’a pas à se préoccuper de sa gloire. Il ne règnera pas par l’asservissement de tous, lui qui, de tous, est le serviteur (cf. Ph 2, 5-6). Il est venu nous dire que la vie était dans l’accueil sans calcul de chacun.
Aujourd’hui, nous contemplons Jésus, tenté mais victorieux du mal, pour nous laisser façonner par sa manière d’être. Ses réponses nous indiquent à quoi nous sommes appelés : adorer un seul Seigneur, l’aimer dans nos frères. Les moyens seront humbles et patients ; nous n’avons pas à rêver de transformer les pierres en pain ; nous n’avons pas à imposer la Bonne Nouvelle mais à la servir. Jésus nous apprend à rencontrer l’autre comme il est, à marcher avec lui au rythme qui est le sien, jusqu’à ce point où Dieu lui-même fera germer ce qu’il a semé et transfigurera une existence.
Disciples du Christ, apprenons alors de lui que ce n’est pas de notre Règne, de notre volonté et de notre nom qu’il s’agit. Apprenons comme lui à écouter toute parole qui sort de la bouche de Dieu, car elle est Parole de Vie.
Abbé F. Fermanel