Il est midi quand la Samaritaine vient puiser de l’eau au puits de Jacob. Dans ces pays pourtant, les femmes viennent au puits en groupe, tôt le matin, à la fraîche. Elle semble être au ban du groupe, excommuniée. Cela très probablement en raison de ses amours. Elle a eu cinq maris, elle vit avec un sixième homme… Le septième sera le bon ! Mais elle vit : loin d’être écrasée, elle ne garde pas sa langue dans sa poche, elle interpelle cet homme, ce juif, qui lui demande à boire. Elle ne comprend pas tout à fait les réponses, les questions de Jésus, mais elle entre en relation, ne se dérobe pas, et pose des questions à son tour : « Dieu, où est-il présent ? Ici sur le Garizim, ou à Jérusalem ? Le messie, quand viendra-t-il ? » — « Je le suis, moi qui te parle. »
Dès lors, elle n’est plus une étrangère, une rejetée. Elle devient apôtre auprès de sa communauté. Elle confesse l’amour dont elle vient de bénéficier sur son péché : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? » Et, à la fin de la péricope, elle reçoit le plus beau des témoignages, l’idéal du missionnaire, de l’accompagnateur, du témoin : « Ce n’est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde. »
La Samaritaine s’est révélée une femme de foi. Certes, elle n’en a pas conscience. Apparemment, elle lutte pour survivre, pour affronter un quotidien difficile, l’échec de ses amours, l’hostilité de sa communauté, elle qui appartient à une minorité méprisée. Sa foi est de mettre un pas devant l’autre, d’accepter de ne pas avoir la réponse à ses questions, mais de rester ouverte à l’étranger, à l’autre et Tout Autre. Et c’est elle que Jésus choisit comme apôtre, tout comme Dieu a choisi le peuple juif et l’Église pour devenir son témoin dans le monde : Confesser Dieu en se confessant pécheur, devenir un peuple qui porte la question de sa présence, de son action, en confessant un Dieu à l’œuvre au désert, en exil, face à un risque réel de disparition et de mort.
Être chrétien, c’est cela : demander à Dieu comment il peut accepter en son Fils de mourir pour nous, témoigner devant les hommes du pardon dont nous bénéficions les premiers, jusqu’à s’effacer pour permettre à chacun, à chaque peuple de faire lui-même sa propre expérience de Dieu. St Paul ne dit pas autre chose aux Romains.
Et nous, où sommes-nous ? A qui nous identifions-nous ? Aux apôtres, étonnés, pour ne pas dire scandalisés, que Jésus parle avec une femme, une Samaritaine, une pécheresse… ? A la Samaritaine, étonnée que Dieu s’intéresse à elle, puisse l’aimer, lui confier une mission ? Aux Samaritains qui accueillent le témoignage de cette femme et font eux-mêmes et personnellement l’expérience de Jésus, « sauveur du monde » ? A Jésus qui avait mystérieusement et providentiellement rendez-vous avec cette femme, dont il fait un témoin, une apôtre ? Dans notre vie, dans ses épreuves bien réelles, « Dieu est-il présent, oui ou non ? »
Abbé F. Fermanel