Si saint Jean insiste sur la nécessité d’aimer, au point d’en faire le centre et
le dernier mot du message du Christ, c’est parce que tout être humain est
habité par la soif d’aimer et d’être aimé, et en même temps par une grande
peur. Car si l’amour est don de soi, il est toujours en quelque façon perte de
soi en l’autre, avec parfois la peur de ne rien recevoir en échange, la peur
d’être dupe. C’est pourquoi, clairement ou non, nous sommes prêts à aimer
jusqu’à un certain point, et pas n’importe qui. Or, ce que le Christ nous
demande, c’est d’aimer inconditionnellement, c’est à dire tout être humain
quel qu’il soit, sans exclusion, sans exception.
Et puis, plus profondément que nos peurs, il faut nous demander si nous
croyons vraiment que seul l’amour sauve, que seul l’amour libère de la
violence, de la haine, du mépris qui règnent dans notre monde, et toujours à
quelque degré dans notre propre coeur. Pour employer un mot cher à Jean,
l’oeuvre qui nous est demandée ici c’est la foi, c’est à dire de croire en l’amour
gratuit et insensé de Dieu pour nous. Les hommes et les femmes selon le
coeur de Dieu sont sans aucun doute ceux et celles qui peuvent dire en vérité,
à la suite de Jean : « Nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous. »
Si notre foi est solidement établie dans cette assurance que Jésus est venu
littéralement mettre l’amour au monde, alors nous pouvons être sauvés de
la constatation amère et déprimante de notre incapacité à aimer vraiment :
de fait, nos amours sont toujours infirmes, parce que ce sont des amours
selon la chair, trop faciles dans la passion et trop difficiles pour être une
communion qui ne soit pas une fusion.
Alors, Dieu nous demande-t-il l’impossible ? Non, parce que l’amour qu’il
nous demande et même nous commande de donner ne peut en aucune façon
venir de nous et de nos efforts, aussi généreux soient-ils. La vérité, c’est que
« aimer » ne nous est possible que par ce que, le premier, Dieu nous a aimés.
Si nous croyons, à la lumière de Pâques, que vraiment Dieu, dans son Christ,
nous a aimés jusqu’au bout, alors nous recevons de lui ce qu’il nous faut
d’amour pour nous aimer les uns les autres.
Quand Jean nous dit dans sa première lettre que « Dieu nous donne part à
son Esprit », il nous dit que Dieu ne nous donne rien d’autre que l’amour qui
le constitue. Croire à l’amour, c’est nous ouvrir à ce don.
Si nous l’accueillons, Dieu fait en nous des merveilles, car l’amour que nous
recevons de lui non seulement nous traverse pour aller vers les autres, mais
demeure en nous, pour transformer notre désir d’aimer en pouvoir de le
faire, comme Dieu lui-même le fait.
abbé F. Fermanel
Aimés parce qu’on est déjà aimés...
11 mai 2024