« La miséricorde véritablement chrétienne est également, dans un certain sens, la plus parfaite incarnation de l’« égalité » entre les hommes, et donc aussi l’incarnation la plus parfaite de la justice, en tant que celle-ci, dans son propre domaine, vise au même résultat. L’égalité introduite par la justice se limite cependant au domaine des biens objectifs et extérieurs, tandis que l’amour et la miséricorde permettent aux hommes de se rencontrer entre eux dans cette valeur qu’est l’homme même, avec la dignité qui lui est propre. En même temps, l’« égalité » née de l’amour « patient et bienveillant » n’efface pas les différences : celui qui donne devient plus généreux lorsqu’il se sent payé en retour par celui qui accepte son don ; réciproquement, celui qui sait recevoir le don avec la conscience que lui aussi fait du bien en l’acceptant, sert pour sa part la grande cause de la dignité de la personne, et donc contribue à unir les hommes entre eux d’une manière plus profonde.
Ainsi donc, la miséricorde devient un élément indispensable pour façonner les rapports mutuels entre les hommes, dans un esprit de grand respect envers ce qui est humain et envers la fraternité réciproque. Il n’est pas possible d’obtenir l’établissement de ce lien entre les hommes si l’on veut régler leurs rapports mutuels uniquement en fonction de la justice. Celle-ci, dans toute la sphère des rapports entre hommes, doit subir pour ainsi dire une « refonte » importante de la part de l’amour qui est - comme le proclame saint Paul - « patient » et « bienveillant », ou, en d’autres termes, qui porte en soi les caractéristiques de l’amour miséricordieux, si essentielles pour l’Evangile et pour le christianisme. Rappelons en outre que l’amour miséricordieux comporte aussi cette tendresse et cette sensibilité du cœur dont nous parle si éloquemment la parabole de l’enfant prodigue, ou encore celles de la brebis et de la drachme perdues. Aussi l’amour miséricordieux est-il indispensable surtout entre ceux qui sont les plus proches : entre les époux, entre parents et enfants, entre amis ; il est indispensable dans l’éducation et la pastorale. »
(Numéro 14)